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Visite d'un jardin autofertile

par Isabelle Éthier, agr.  
Imaginez ce jardin: une soixantaine de variétés différentes de fleurs, surtout vivaces, entremêlées d'autant de plantes potagères - fraises, tomates, concombres, carottes, poireaux, courges, topinambours - et de plusieurs arbustes fruitiers tel que les groseillers, cassis, framboisiers, mûriers et gadeliers. Tout autour, des arbres fruitiers. Les plus grands au nord et les plus petits de chaque côté de manière à former une coupole qui assure un micro-climat. La dimension de ce paysage: 10 000 pieds carrés. Des tuteurs permanents sont disposés le long des rangs, permettant l'étalement en hauteur. À proximité, un petit étang, volontairement aménagé pour y accueillir couleuvres et batraciens...

PLUS DE RENDEMENTS AVEC MOINS D'INTRANTS
Une telle nature sauvage peut-elle être aussi généreuse qu'un jardin conventionnel aux rangs bien alignés? Comment se gèrent les maladies, les carences, les problèmes d'insectes et d'herbes indésirables? Les besoins d'irrigation sont-ils les mêmes? Comment semer et repiquer dans une telle diversité? "L'année dernière, précise Réjean Roy, formateur en jardinage autofertile, 80% de mes récoltes provenaient de vivaces ou encore de plantes semées par elles-mêmes. En ce qui concerne les rendements, ce type de jardin doit être apprécié en trois dimensions. Si vous prenez l'exemple des citrouilles, des melons, de la vigne ou encore des concombres, le plant occupe un rond de 6 pouces au sol, le reste se poursuit en hauteur grâce au tuteur permanent." Comment disposez-vous vos plants de tomates par exemple? Sont-ils en massif ou étalés aux quatre coins du jardin? Certains plants ont besoin d'être regroupés pour favoriser la pollinisation... "J'essaie de les disposer ensemble en respectant l'espacement suggéré pour ne pas que les plants se nuisent. Toutefois, rien ne m'empêche de semer de la laitue, des carottes, des fèves ou même des lupins entre mes plants de tomates ou de maïs. Les fèves et les lupins vont bonifier l'apport en azote, l'ail agira comme protecteur, et les carottes ne nuiront pas, car leurs besoins diffèrent de ceux de la tomate. Toute cette disposition multiplie les effets d'association et de compagnonnage. Lorsqu'on favorise la diversité des plantes, on favorise aussi celle qui est dans le sol. Résultat : vous vous retrouvez avec une complémentarité d’actions bénéfiques pour les plantes, laquelle finit par générer des rendements pouvant facilement passer du simple au triple. De manière générale, un jardin autofertile triple la production tout en réduisant les infestations, les risques de maladies et le temps passé aux travaux d’entretien." Cette estimation résulte de comparaisons empiriques entre le rendement de plantes en régie conventionnelle, comparativement à ceux obtenus en régie autofertile. "Si je vous disais que plusieurs jardiniers ayant converti leur jardin en mode autofertile ont dû réduire leur superficie à cause de l’augmentation des rendements…"

"Pour ce qui est des intrants, ils se limitent à deux éléments : semences et paillis de surface. Lorsque le jardin est en équilibre, soit au bout de trois ou quatre ans après son implantation, la plupart des insectes présents sont des alliés. Les indésirables sont contrôlés naturellement par leurs prédateurs. Le sol n'est jamais travaillé, et les mauvaises herbes n'ont tout simplement plus d'espace pour s'étaler. Un système d'irrigation est nécessaire pour les trois premières années de vie d'un jardin autofertile. Par la suite, la nature fait elle-même son travail." Que vous reste-t-il à faire une fois le jardin bien implanté? "Un peu de désherbage et de repiquage, poursuit le jardinier. Il faut également veiller à bien répartir le paillis pour éviter que le sol soit à découvert." Vous n'avez pour ainsi dire jamais de problème de maladie ou de carences? "La maladie fait partie du paysage, nuance Réjean Roy, tout en ayant un effet bénéfique au jardin. Comment? En gardant les ravageurs en vie sans qu'ils soient nuisibles. La grande diversité des jardins autofertiles fait en sorte qu'il y a de la place pour tout le monde. S'il y a un élément nuisible, insectes, bactéries, virus, champignons ou nématodes, il y aura de l'espace pour que vienne s'installer son prédateur. L'équilibre de vie est atteint."

L'EXEMPLE DE L'ANNELEUR DU FRAMBOISIER
Voici un exemple typique vécu dans le jardin autofertile de Réjean Roy. L'anneleur du framboisier est un insecte qui pique la tige pour y déposer ses larves. Celles-ci y passeront le premier stade de leur cycle de vie, le second étant au sol, l'année suivante. Ils signalent leur présence en faisant des anneaux sur la tige. Une fois infectée, la partie extérieure de la tige finit par tomber. En régie conventionnelle, on suggère de couper les tiges infectées et de les brûler. Le problème avec cet insecte est qu'une partie de sa vie se passe au sol. Or, une fois qu'il est installé au champ, il affecte les framboisiers sévèrement tous les deux ans. "Mes framboisiers ont été plantés au tout début de la création du jardin, raconte M. Roy. Mon sol était pauvre, très sableux, et la diversité de mes plantes n'était pas à son maximum. L'aménagement autour du jardin, plan d'eau et arbres fruitiers, ne donnait pas son plein potentiel dans sa capacité d'attirer une variété d'insectes et de batraciens. Normalement, un plant de framboise amorce sa fructification au bout de la troisième année. Comme l'anneleur s'est installé, la récolte a été faible, et mes tiges ont été coupées naturellement par ces insectes. Un travail que l'on doit faire en régie conventionnelle lorsque les tiges sont trop longues, ce qui était le cas de mes framboisiers. L'année 4, l'anneleur est normalement au sol pour la deuxième partie de son cycle de vie. L'année 5, l'année où l'insecte reconduit son cycle sur les plants, ceux-ci ont été très généreux dans leur fructification. Certaines tiges sont toujours infectées, mais il n'y pas d'effet d'infestation. La faible population de l'anneleur aura pour effet de stimuler les plants affectés et d'entretenir le prédateur de l'anneleur." Quel est ce prédateur? "Je n'ai pas besoin de le savoir, fait comprendre le jardinier. Lorsque je suis devant une infestation qui prend des proportions importantes, mon questionnement est le suivant: mon sol est-il suffisamment équilibré, mon aménagement suffisamment diversifié? Y a-t-il des actions possibles pour augmenter la diversité de la flore, de la faune et de la microfaune? N'oubliez pas que la nature a prévu tous les mécanismes de défense pour éliminer les faibles. Or, lorsqu'un écosystème est en équilibre, l'humain n'a plus besoin d'intervenir. C'est ce que nous essayons de faire avec un jardin autofertile: reproduire un écosystème en équilibre." Si on compare avec une régie conventionnelle, on vient ainsi d'éliminer plusieurs interventions humaines: coupe et brûlage des tiges, traitement des ravageurs, taille et ramassage des tiges mortes.

IMITER LA NATURE DANS SA COMPLEXITÉ ET SON ÉQUILIBRE
Certains parlent de jardins en synergie. D'autres, de jardins naturels inventés pour les paresseux. Ici, au Québec, les premiers jardiniers à expérimenter cette méthode ont fait le choix de baptiser ces espaces "jardins autofertiles". À la fois simple et complexe, cette nouvelle façon de jardiner amène à imiter la nature dans ses grands principes et par le fait même, à mieux la respecter... "Cela fait sept ans que l'on expérimente le jardinage autofertile simplement au Québec, précise Réjean Roy. Plus de 1000 individus ont été formés à cette pratique dans différentes régions de la province, et l'intérêt s'amplifie graduellement." La nouveauté cette année: certains agriculteurs s'intéressent aux principes du jardinage autofertile pour la gestion de leurs sols et peut-être de leurs productions... L'objectif de cette façon de cultiver la terre n'est pas simplement de produire des aliments exempts de pesticides: c'est aussi et surtout de rechercher l'équilibre sans jamais forcer la nature. "Il faut plutôt s'exercer à comprendre comment fonctionnent les cycles naturels de notre environnement, poursuit M. Roy, et de chercher à les reproduire dans un écosystème dont fera partie notre jardin."

UN SOL QUI S'AUTOFERTILISE
"Peu importe le type de sol avec lequel on se retrouve lorsque l'on démarre un jardin autofertile, signale Réjean Roy, l'expérience révèle qu'au bout d'une dizaine d'années, parfois moins, tous les sols finissent par se ressembler. Ils se rapprochent grandement des sols forestiers. Si vous observez bien la nature, poursuit le jardinier, vous remarquerez que le sol est toujours couvert de végétation. Il n'est jamais laissé à nu. L'objectif en jardinage autofertile étant d'imiter la nature, le sol de ces jardins est toujours recouvert. Cette couverture naturelle permanente assure une protection contre l'érosion, les herbes indésirables et le dessèchement. C'est d'ailleurs pour cette raison que le système d'irrigation n'est plus nécessaire après trois années de vie d'un jardin autofertile." Vous dites que la nature finit toujours par s'équilibrer. Or, il y a tout de même des saisons, comme celle de 2002, où l'eau a manqué en abondance. Même certaines zones forestières ont littéralement desséché. Quelle est votre attitude lors de ces situations particulières? "Quand il s'agit d'un problème climatique généralisé, fait comprendre le jardinier, on subit parfois les mêmes conséquences qu'un jardin conventionnel. Cela dit, à cause de sa nature hautement diversifiée, de son sol toujours protégé et de son aménagement en trois dimensions, le potentiel de résistance d'un jardin autofertile est plus élevé."

Donc, pas de labour ni aucun travail manuel du sol. Ce travail revient aux micro-organismes, aux vers de terre et aux racines des plantes. Les apports en fumier, en compost ou en toute autre matière fertilisante, même biologique, sont éliminés. La seule mesure permise est l'ajout régulier d'un paillis naturel - feuilles mortes, paille, bois raméal fragmenté, bran de scie, gazon, végétaux aquatiques, etc. - durant les premières années du jardin. Après, la nature se chargera de le faire puisque tous les restes végétaux demeurent au sol, assurant ainsi une couche protectrice suffisante et permanente.

FAVORISER UNE DIVERSITÉ DES SYSTÈMES RACINAIRES
"Dans un jardin conventionnel, nous enseigne Réjean Roy, nous avons l'habitude de gérer l'espace à partir de ce que l'on voit sans avoir d'impact sur le sol. En jardinage autofertile, il faut développer une autre approche: se soucier d'abord et avant tout de ce que l'on ne voit pas, c'est-à-dire de la vie du sol. Par exemple, lorsque vient le temps de faire votre choix de plantes, il faut favoriser la diversité et la complémentarité des différents systèmes racinaires en vous assurant bien entendu d'un mélange entre les annuelles et les vivaces."

L’AMÉNAGEMENT DES BUTTES PERMANENTES – RÉSUMÉ DES ÉTAPES À SUIVRE
"D'entrée de jeu, d'avertir Réjean Roy, je vous dis tout de suite qu'un tel aménagement est exigeant sur le plan physique et humain. Cela dit, ce travail est à faire une seule fois dans votre vie... Il y a plusieurs éléments à penser puisqu'il faut essayer de raisonner et de considérer le lieu du jardin dans un espace plus global, où l'intervention humaine est à son minimum. Avant d'être paresseux, il faut prendre le temps de bien aménager le jardin..." Une fois que l'espace du jardin est délimité, vous devez y aménager ce que l'on appelle des buttes permanentes. L'idée est de surélever des rangs d'une largeur de 4 pieds, un peu à la manière d'un jardin encadré que l'on entoure de madriers de bois. Dans le cas d'un jardin autofertile, les buttes ne sont pas entourées. Il s'agira de creuser le nombre d'allées nécessaires, suivant un plan bien précis. Une fois le terrain bien préparé, on délimite les rangs et on amène la terre des allées vers les buttes jusqu'à ce qu'elles atteignent une hauteur de 30 cm. De manière générale, si le sol l'exige, on peut ajouter des amendements tels que de la chaux, du basalte et du compost. On ramasse les particules tombées dans les allées pour ensuite amorcer le nivellement des buttes. Les roches trouvées en creusant iront pour le plan d'eau, et la couche végétale de mauvaises herbes ira au compost. Le nivellement se termine lorsque la partie plate de la butte mesure 3 pieds de largeur.

La seconde étape sera d'installer un système d'irrigation et les tuteurs permanents. Il s'agit de barres à béton, très solides. Des fils métalliques sont placés de façon permanente le long du rang. Cet équipement permettra de faire grimper les plantes potagères. "Comme votre production potagère pousse à la verticale, souligne Réjean Roy, elle est toujours à portée de vue. Imaginez l'espace que vous y gagnez!" Vos courges et vos citrouilles ont-elles tendance à tomber à cause de leur poids? "En poussant sur des tuteurs, explique le jardinier, les tiges prendront la force nécessaire tout au long de leur croissance pour supporter leurs fruits."

LE BASSIN D'EAU EST INTIMEMENT LIÉ AU JARDIN
En gardant toujours à l'esprit que le paysage doit être aménagé dans la complémentarité, un plan d'eau doit être ajouté à proximité du jardin. Cet espace doit idéalement avoir un amoncellement rocheux afin de fournir des abris aux couleuvres et aux batraciens, un ou plusieurs chicots afin d'offrir un perchoir aux oiseaux, et être disposé de manière à faciliter la circulation des alliés. "Ce plan d'eau doit devenir comme un étang. Vous devez donc avoir de l'eau, de la terre, du soleil, de l'ombre et des plantes. Pour que la vie se développe, précise le jardinier, l'eau doit être stagnante. Elle va se corrompre pour ensuite commencer à se filtrer au bout de deux ou trois semaines. Vous verrez apparaître des batraciens, qui seront de bons alliés pour votre jardin autofertile..."

Voilà une façon nouvelle de cultiver la terre qui, loin de nous amener dans un état d'oisiveté, comme certains le prétendent, nous invite à imiter la nature dans la recherche constante de l'équilibre et de la complémentarité. Est-ce utopique de penser à la possibilité de transposer cette science à la production agricole? "Il y a des limites liées entre autres à la technologie et à la machinerie, conclut Réjean Roy, mais elles ne sont pas insurmontables. L'obstacle majeur restera toujours notre esprit trop cartésien habitué à dominer et à tout contrôler..."

LE CHEMINEMENT DU JARDINIER
C'est par la maladie que Réjean Roy cheminera vers la pratique du jardinage autofertile. Vétérinaire de profession, sa pratique professionnelle a été compromise à cause d'une hernie discale. Ne voulant pas subir d'opération, il cherchera à se guérir naturellement en se donnant comme objectif de réintégrer sa profession autrement. Après avoir exploré les domaines de la zoothérapie, de l'épidémiologie et de la recherche, ses intérêts convergeront vers l'agriculture biologique. Son souhait sera de développer une expertise lui permettant d'exercer la médecine vétérinaire propre à l'agriculture biologique. C'est en se renseignant sur les différentes façons de pratiquer l’agriculture biologique qu'il découvre la science de la permaculture et des principes du jardinage autofertile. Ce fut un peu comme une révélation intérieure. "Voilà une façon de concevoir la nature qui me convient, se dira-t-il. Une manière d'agir qui minimise l'intervention humaine et maximise l'équilibre et l'ordre de la nature." Après quelques années de formation et de recherche personnelle, son expertise en jardinage autofertile n'est en fait qu'un passage vers l'atteinte de l'objectif souhaité: pouvoir un jour pratiquer la médecine vétérinaire spécialisée en permaculture.

LA PERMACULTURE ET LE JARDINAGE AUTOFERTILE
Depuis quand applique-t-on les grands principes de la permaculture au jardinage? "C'est à l'Européenne Émilia Hazelip que revient le mérite d'avoir appliqué les principes de la permaculture au domaine spécifique du jardinage adapté au climat tempéré. C'est d'ailleurs auprès d'elle que j'ai développé ma propre expertise du jardinage autofertile. Elle fait partie de ceux et de celles qui ont développé le concept d'agriculture synergétique, explique Réjean Roy. Comme cette appellation est réservée et protégée, elle ne peut pas être utilisée à l'extérieur de la France. C'est pourquoi nous parlons au Québec de jardinage autofertile plutôt que synergétique."


CINQ CATÉGORIES DE PLANTES À FAVORISER
  1. Plantes dont les racines demeurent vivantes durant l'hiver (fraises, rhubarbe, ciboulette, ail, etc.). Ces racines auront pour effet de maintenir la microfaune en vie tout au long de l'année.

  2. Plantes dont on récoltera la racine (carottes, topinambours, navets, etc.). Le système racinaire de ces plantes étant plus profond, il aura pour effet d'aérer le sol une fois arraché. "Ces plantes doivent idéalement être réparties dans des îlots différents puisque leur récolte viendra perturber le sol pendant un certain temps", d'avertir le jardinier.

  3. Les racines fixatrices d'azote (caragana, lupin, fèves, etc.) font partie d'un troisième groupe de plantes. Leur effet sera bien entendu de procurer de l'azote aux plantes tout en produisant une récolte, du paillis et une masse racinaire qui entretiendra la vie du sol.

  4. Il y a également toutes celles dont la partie aérienne doit être coupée à l'automne (tomate, piment, concombre, etc.). Laissées dans le sol, les racines mourront et serviront de nourriture aux vers de terre de même qu'aux bactéries, maintenant en vie la microfaune du sol à l'automne et au printemps.

  5. Et finalement, tout ce qui fait partie de la famille des liliacées (ail, poireau, ciboulette, etc.). Ces plantes auront un effet protecteur sur toutes les autres. Elles représentent, pourrions-nous dire, l'aile médicale du jardin. Ces racines sécrètent en abondance une variété de substances visant à détruire les éléments nuisibles du jardin.

Cette diversité doit idéalement se retrouver sur chacune des buttes du jardin.
Article paru dans le magazine Bio-bulle no 48
Mai 2004
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